SOCIETE

Cameroun : Boko Haram adopte un nouveau mode opératoire

La secte Boko Haram est un groupe insurrectionnel et islamique né au Nigeria dans les années 2000. Il s’est répandu progressivement dans toute la région du bassin du Lac Tchad et constitue une menace certaine pour la paix et la sécurité non seulement dans l’Extrême Nord du Cameroun mais aussi dans les pays voisins. En effet, depuis plus d’une décennie, le mouvement est à l’origine de nombreux massacres, attentats et enlèvements à l’encontre de populations civiles de toutes confessions, laissant la région dans le plus grand désarroi, avec des milliers de déplacés internes et refugiés. Il est responsable de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et est classé comme organisation terroriste par le Conseil de Sécurité des Nations unies le 22 Mai 2014. Bien que tardive, la réponse militaire du gouvernement camerounais et de ses alliés impliqués dans la lutte contre la secte terroriste a été dans une certaine mesure efficace, mais malheureusement celle-ci n’a pas permis d’endiguer le phénomène jusqu’à présent.

Ces dernières semaines, des rapports font état d’un changement dans le modus operandi de la secte. Une modification de tactique qui nécessite une approche différente dans la manière de la combattre. BLe Cameroun a déployé plus de 1 000 soldats le long de sa frontière pour aider à combattre Boko Haram [AFP].

Les autorités camerounaises ont constaté que l’organisation terroriste a adopté une stratégie différente dans ses assauts meurtriers. En effet, plutôt que d’attaquer des villages en tuant des hommes, des femmes et des enfants innocents et en commettant des actes de vandalisme comme à l’accoutumée, ils ont adopté une tactique apparemment plus subtile. Selon les rapports recueillis en juillet 2021, les soldats de l’armée camerounaise ont été ciblés et attaqués, mais les populations et les villages n’ont pas été la cible des terroristes. À contrario, ils ont été approchés pacifiquement et l’idéologie djihadiste leur a été prêchée. Cette tactique pose un sérieux problème au gouvernement camerounais car elle permet au groupe terroriste de se fondre dans la société, ce qui le rend plus difficile à cibler.

Saibou Issa, spécialiste de la résolution des conflits à l’Université de Maroua, pense que Boko Haram tente de gagner la confiance des civils. Il explique que la nouvelle méthode d’attaque signifie que les terroristes de Boko Haram partagent désormais l’idéologie de la dissidence djihadiste de l’État islamique de la province d’Afrique de l’Ouest (ISWAP), qui semble prendre le contrôle des localités frontalières du Nigeria, du Cameroun et du Tchad. Ce changement s’est produit après que le chef de la section Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’awatiwal-Jihad (JAS) de Boko Haram, Abubakar Shekau, a été tué en mai dernier. Après avoir été un excellent leader de Boko Haram, son absence a depuis créé un vide qui est exploité par l’avant-poste de l’État islamique en Afrique de l’Ouest. En l’absence de Shekau, les autres dirigeants ont pu être convaincus de reprendre les méthodes et les idées de l’ISWAP. Saibou Issa a déclaré que le groupe attaque désormais des positions militaires et des responsables gouvernementaux pour gagner la sympathie et recruter des civils. Saibou Issa a également déclaré aux journalistes que la pauvreté dans le bassin du Lac Tchad pousse de nombreux jeunes hommes à rejoindre le groupe terroriste, où ils espèrent être rémunérés pour combattre les troupes gouvernementales. Il a ajouté qu’il est possible que des anciens combattants de Boko Haram mécontents que leurs camarades s’en prennent à des civils rejoignent maintenant le groupe. Le mouvement vise à établir un nouveau contrat social avec les communautés en se présentant comme une alternative à l’État qui, selon lui, a failli à sa mission. La réduction des attaques contre les civils ainsi que l’intensification des attaques contre les forces militaires, la propagande, l’exagération des succès remportés, l’enseignement généralisé et l’endoctrinement des villageois, en particulier des jeunes garçons, dans la secte, sont autant de caractéristiques essentielles des attaques de l’ISWAP (et maintenant de Boko Haram) dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun depuis la mort de Shekau.

Ce nouveau type de stratégie et d’attaques asymétriques de Boko Haram signifie que le gouvernement camerounais devra combattre désormais le groupe terroriste sur deux fronts : par une approche centrée sur le sécuritaire et les opérations militaires et une approche privilégiant le développement socioéconomique et la lutte contre le radicalisme religieux dans la région de l’Extrême Nord. Une solution efficace et d’endiguement rapide nécessite le retour de l’État, qui devrait s’appuyer sur la société civile et la jeunesse, les élites locales ainsi que sur ses partenaires bilatéraux et multilatéraux afin de dissuader les populations à rejoindre la secte et pour reconstruire les services publics dans une zone longtemps délaissée.

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Olivier Noudjalbaye Dedingar

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