À l’approche de l’échéance présidentielle de 2025, une voix s’élève pour réclamer une reconfiguration fondamentale de l’architecture du pouvoir camerounais. Ce n’est pas le cri d’un parti politique traditionnel, mais la revendication portée par Dynamik Esso, activiste et membre de l’association Grand Littoral, qui estime que le temps est venu de corriger une injustice historique et structurelle. Son plaidoyer : briser le « triangle équilatéral » du pouvoir – une répartition tacite entre le Septentrion, les Grassfields et l’aire Ekang – pour y intégrer le Grand Littoral comme quatrième pilier, formant ainsi un « carré national » équilibré et inclusif.
Le Berceau Oublié de la Nation
Le Grand Littoral n’est pas une simple entité géographique. S’étendant de Mamfé à Kribi, d’Otélé à Babimbi, cette vaste aire est présentée comme le berceau historique et le poumon économique négligé du Cameroun. C’est sur ses rives que le pays a trouvé son nom, Rio dos Camarões, donné par les navigateurs portugais. C’est dans son sol et ses eaux que reposent les mémoires des héros nationaux, de Rudolf Duala Manga Bell à Um Nyobè, des figures qui, comme le rappelle l’association, « sont venues d’autres régions se sont levés, au prix de leur vie, pour défendre la dignité de notre peuple ».

Pourtant, ce riche passé contraste violemment avec un présent marqué par un sentiment d’abandon. Le Grand Littoral se décrit comme la partie de la République qui « nourrit la maison Cameroun sans jamais siéger à sa table ». Un paradoxe criant pour une région qui affirme porter une part disproportionnée du développement national sans en récolter les fruits politiques et infrastructurels.
Un Poids Économique et un Déficit de Pouvoir
Le plaidoyer s’appuie sur des réalités économiques difficilement contestables. Le Grand Littoral est la colonne vertébrale économique du pays :
- Les ports de Douala et Kribi assurent près de 95% du commerce extérieur camerounais.
- Les villes d’Édéa, Kribi et Limbé forment un triangle industriel stratégique, abritant des raffineries, des alumineries, des zones industrielles et des centrales énergétiques majeures.
- La région est un grenier agricole (cacao, bananes) et une source cruciale de ressources (bois, hydrocarbures, pêche).
Malgré cette contribution vitale, le Grand Littoral dénonce un sous-équipement chronique : routes délabrées, hôpitaux sous-dotés, universités en manque de moyens. Mais le grief principal est politique : la marginalisation dans les cercles de décision.
L’association cite des chiffres percutants, s’appuyant sur des travaux comme ceux de la Pr Ondoua Viviane Biwole : sur un échantillon de 71 Présidences de Conseils d’Administration (PCA) d’entreprises publiques et parapubliques, le Grand Littoral ne se verrait attribuer que 15% des postes, contre 35% pour l’aire Ekang, 25% pour les Grassfields et 24% pour le Septentrion. Ces chiffres viennent illustrer la théorie du « triangle équilatéral du pouvoir », un concept déjà relevé par l’illustre universitaire Pr Gabriel Nlep, et qui, selon Grand Littoral, « reste d’actualité 30 ou 50 ans après ».
Du Triangle au Carré : Un Impératif de Stabilité Nationale
La revendication centrale est donc une transformation géopolitique : passer du triangle au carré. Pour Dynamik Esso et l’association Grand Littoral, le Cameroun ne peut plus se construire sur un modèle trinitaire qui exclut un de ses piliers fondateurs.
« Reconnaître le Grand Littoral, et la part qui lui revient c’est bâtir un carré national, stable, inclusif, équilibré. C’est faire acte de justice », affirme le texte. Cette revendication va au-delà d’un simple rééquilibrage régional. Elle est présentée comme une condition de la cohésion et de la stabilité futures du pays. « Le Cameroun ne tiendra pas debout si une partie essentielle de son corps reste affaiblie », peut-on lire, en insistant sur le caractère « républicain » et non « régionaliste » de l’appel.
Les demandes sont précises :
- Justice représentative : Une présence accrue et significative dans les ministères régaliens, les directions générales, la diplomatie et les institutions de souveraineté.
- Justice infrastructurelle : Le déploiement d’investissements massifs dans les routes structurantes, les hôpitaux de référence et les universités.
- Justice gouvernance : Une implication réelle des élites du Littoral dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques nationales.
Un Enjeu Majeur pour la Présidentielle de 2025
À l’aube de la prochaine élection présidentielle, cet appel place le futur locataire du Palais de l’Unité face à une question fondamentale : comment répondre aux demandes de reconnaissance et d’équité émanant d’une région économiquement cruciale ?
Le Grand Littoral ne demande pas une faveur, mais exige sa « juste part du gâteau national ». Il se présente comme un partenaire loyal mais impatient, « prêt à porter le Cameroun demain » à la condition expresse que la République lui « reconnaisse enfin sa juste place ».
Ce plaidoyer, s’il gagne en résonance, pourrait bien devenir l’un des enjeux sous-jacents majeurs de la campagne de 2025, forçant les candidats, et notamment le pouvoir sortant, à se positionner sur une refonte de la gouvernance ethnorégionale, un sujet sensible et central dans l’équilibre du Cameroun contemporain. La balle est désormais dans le camp de la République. Acceptera-t-elle de devenir un carré ?