POLITIQUE

Cameroun: à Ebolowa, le RDPC en ordre de bataille pour un plébiscite en faveur de Paul Biya

Written by Annette Olinga


Alors que le Cameroun s’apprête à vivre un scrutin présidentiel ce dimanche 12 octobre, la ville d’Ebolowa, capitale de la région du Sud, a servi de décor à une démonstration de force politique d’une intensité rare. En clôture de la campagne dans cette région considérée comme un bastion indétrônable, le Premier ministre Dr Joseph Dion Ngute a mobilisé les troupes du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) pour, non pas conquérir, mais sanctifier la victoire annoncée du président Paul Biya. L’objectif est clair et répété en boucle : transformer le score plébiscitaire de 2018 en un plébiscite absolu, visant les 100 % des suffrages.

Le Sud, « Château fort » du régime Biya

Le grand rassemblement d’hier, 10 octobre, avait des allures de cérémonie de couronnement. Dans une ambiance électrique, le Dr Dion Ngute, porte-parole de la marque Biya, n’a pas seulement fait acte de campagne ; il a dressé le bilan d’une allégeance et d’une rétribution réciproque. Face à une foule acquise, il a rappelé le chiffre qui obsède la stratégie électorale du parti au pouvoir : en 2018, la région du Sud avait accordé plus de 92 % de ses voix au président sortant. « La région est prête à donner 100 % de ses voix au président Paul Biya », a-t-il assuré, faisant de cette élection non pas un choix, mais une formalité, une ratification populaire d’un ordre établi.

Pour justifier cette adhésion totale, le Premier ministre a déroulé le catalogue des réalisations du régime, présentant la région comme le laboratoire de la « vision » de Paul Biya. Il a peint le portrait d’un Sud en pleine mutation, en passe de devenir un « eldorado dans les années à venir ». Le secteur éducatif a été mis en avant comme un joyau : l’Université d’Ebolowa, l’Institut supérieur maritime, l’Université inter-États Cameroun-Congo sont autant de preuves, selon lui, du « leadership éclairé » du chef de l’État pour « la formation de nos jeunes ».

Sur le front des infrastructures routières, souvent point du débat public, M. Dion Ngute a listé une série d’axes structurants – Kribi-Lolabe, Grand Zambi-Kribi, Sangmalima-Djoum – présentés comme les artères d’un nouveau développement économique. Il a aussi fait des promesses pour l’avenir, notamment la réhabilitation de la route Édéa-Kribi et la construction de la route Kribi-Ebolowa via Akom II, autant de projets destinés à « continuer à améliorer les conditions de vie des populations ». Un message simple : le soutien au président est récompensé par le développement.

Une machine électorale huilée jusqu’au dernier bulletin

La démonstration de force ne s’est pas arrêtée au discours gouvernemental. Elle s’est incarnée dans la parole locale, celle qui assure la victoire sur le terrain. Daniel Edjo’o, le maire d’Ebolowa, a tenu un langage sans ambiguïté. « Tout a été mis en œuvre pour garantir qu’aucun vote ne soit accordé à l’opposition », a-t-il lancé, résumant une stratégie d’hégémonie absolue. « Nous ne connaissons aucune opposition. »

Son discours a dévoilé les rouages d’une machine électorale parfaitement rodée. « Nous avons mis en place tous les présidents de bloc de campagne afin qu’aucune voix ne soit perdue par le RDPC », a-t-il expliqué, révélant un maillage territorial conçu pour encadrer chaque électeur et maximiser la participation en sa faveur. Il n’y a ici place ni pour la concurrence, ni pour le doute.

La carte anglophone : un soutien inattendu mais stratégique

Parmi les temps forts de cette mobilisation, l’intervention de Betang Théophile, président de la communauté anglophone d’Ebolowa, a revêtu une portée symbolique particulière. Venant de régions (Nord-Ouest et Sud-Ouest) secouées par un conflit séparatiste, la parole de cette communauté déplacée est un atout précieux pour le régime. M. Betang a dressé un tableau idyllique de leur accueil dans le Sud : « Ils nous ont offert des terres à cultiver gratuitement et nous ont apporté de nombreuses autres aides. »

Ce témoignage, en plus de louer l’hospitalité des populations du Sud, a été habilement transformé en un plaidoyer pour Paul Biya. « Nous soutenons fermement le président Paul Biya, car il a beaucoup fait pour nous », a-t-il affirmé, promettant lui aussi un score de 100 %. Ce soutien public offre au régime un argument face aux critiques internationales sur la crise dans les régions anglophones, présentant le président comme un rassembleur au-delà des clivages linguistiques.

Un paysage oppositionnel fantomatique ?

Dans ce contexte, le discours du ministre de l’Enseignement supérieur, le professeur Jacques Fame Ndongo, chef de l’équipe de campagne pour le Sud, a achevé de délégitimer l’adversaire. Avec une rhétorique tranchante, il a qualifié les onze autres candidats de « fantaisistes » et de « magiciens qui promettent des projets financièrement irréalisables ».

« Montrez-moi un candidat capable d’affronter le président Paul Biya, car je n’en vois aucun », a-t-il lancé à la foule. Ce discours, qui dépasse la simple critique pour nier l’existence même d’une alternative crédible, vise à décourager par avance toute velléité de contestation ou de report de voix. Il s’agit de présenter le vote pour Biya non comme une option, mais comme une évidence rationnelle et incontournable.

Un bastion sûr dans un paysage national plus incertain ?

Si la ferveur à Ebolowa semble indéniable, cette démonstration de force doit être replacée dans un contexte national plus trouble. L’article original pointait avec justesse une instabilité nouvelle : la défection d’alliés historiques comme le Front Social National Camerounais (FSNC) de l’ancien ministre Issa Tchiroma et l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) de Bello Bouba Maigari a fragilisé la coalition présidentielle.

Dans ce paysage, la mobilisation du Sud prend une importance capitale. Elle ne vise pas seulement à obtenir un score spectaculaire, mais à compenser d’éventuelles pertes ailleurs et à envoyer un message de stabilité et de puissance indéfectible. Le Sud, « château fort » du régime, doit servir de socle inébranlable à une victoire qui, bien que jugée acquise, a besoin d’être écrasante pour être politiquement significative.

Alors que les urnes s’apprêtent à parler, le meeting d’Ebolowa aura été bien plus qu’un dernier meeting. Il fut la mise en scène d’un contrat politique immuable : un pouvoir qui promet développement et stabilité en échange d’un soutien sans faille. Dimanche, la région du Sud ne votera peut-être pas, elle acclamera. Et dans l’arithmétique du pouvoir, chaque pourcentage au-dessus du score de 2018 sera interprété comme une légitimation renforcée du « Renouveau » porté par Paul Biya depuis plus de quatre décennies.

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