Par une lettre officielle qui date de ce 13 Novembre 2025, Richard Evina Obam, le Directeur Général de la CDEC, répond point par point aux accusations de la Commission Bancaire d’Afrique Centrale. Il y défend la légitimité des actions judiciaires engagées contre les banques <<< inciviques », dénonce un dépassement de compétences de la COBAC et en appelle à un retour aux missions fondamentales du régulateur pour la stabilité financière de la sous-région. Le Directeur Richard Evina Obam oppose la souveraineté de la loi au « bouclier >> des banques inciviques. II dénonce une tentative de « capture du régulateur >> par des établissements financiers récalcitrants et rappelle avec force que le refus de transférer les fonds dus à la CDEC n’est pas une simple perturbation, mais une infraction qui doit être traitée par la justice, dernier rempart de la République.
Dans un contexte africain marqué par la quête d’autonomie financière et de développement endogène, la création d’institutions publiques dédiées au financement des politiques publiques représente un enjeu stratégique majeur. La Caisse des Dépôts et Consignations du Cameroun (CDEC), née de la loi du 8 avril 2008, incarne cette ambition. Pourtant, sa mise en œuvre effective se heurte à des résistances inattendues, tant de la part de certaines banques commerciales que d’instances de régulation régionales. Une lettre du Directeur Général de la CDEC, Richard Evina Obam, adressée au Secrétaire Général de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC), lève le voile sur une crise de gouvernance aux implications profondes pour la stabilité financière et la souveraineté économique de la sous-région.
. Une institution stratégique tardivement opérationnelle
La CDEC a été conçue comme un pilier du financement public, destinée à collecter et à gérer des ressources spécifiques pour le compte de l’État. Il a fallu attendre quinze longues années, jusqu’au 20 janvier 2023, pour que ses organes dirigeants soient nommés par le Président de la République, marquant ainsi son entrée en service. Cette période de latence a, selon le directeur général, constitué une « période de grâce » pour les établissements de crédit. Ces derniers ont continué à utiliser et à « fructifier » pour leurs actionnaires des fonds qui, légalement, étaient déjà dévolus à la CDEC. Cette tolérance des pouvoirs publics, confrontés à des budgets contraints, a involontairement créé une rente de situation que certaines banques sont aujourd’hui réticentes à abandonner.
Le transfert des ressources : entre respect de la loi et résistance « incivique »
À l’heure de la mise en œuvre, la CDEC a opté pour une approche « pédagogique et participative », impliquant les équipes techniques des banques via leur association professionnelle (APECCAM). Si certaines banques se sont conformées à leurs obligations légales, d’autres, qualifiées « d’inciviques », ont choisi la voie de la résistance. Richard Evina Obam dénonce des « manœuvres nocives de lobbying » visant à contourner la loi. Face à ces blocages, la CDEC a dû engager des procédures judiciaires, seules voies légales pour assurer le recouvrement forcé prévu par les textes.
C’est dans ce contexte que la COBAC est intervenue par une lettre, dénoncée comme étant « l’expression d’un parti pris évident ». Au lieu de se focaliser sur le refus des banques de transférer les ressources, la COBAC alerte le ministre camerounais des finances sur de « prétendues perturbations des activités du secteur bancaire » perpétrées par… la CDEC elle-même. Plus grave, la COBAC irait jusqu’à suggérer une intervention du ministre auprès de la justice, une ingérence que le directeur général qualifie d’inadmissible dans un État de droit.
. La COBAC : un régulateur hors de ses compétences ?
La lettre de Richard Evina Obam soulève un point de droit fondamental : le dépassement de compétences par la COBAC. Il lui est reproché d’enfreindre le « principe de spécialité » en s’immisçant dans des matières non transférées par les textes supérieurs de la CEMAC, tels que les traités et actes additionnels. La mission première de la COBAC, rappelle-t-il, est de « veiller au respect par les établissements de crédits des dispositions législatives et réglementaires édictées par les autorités nationales ». En prenant fait et cause pour des banques en infraction avec la loi camerounaise, la COBAC agirait à contre-emploi de sa mission.
Cette dérive n’est pas anodine. Le directeur général y voit le symptôme d’un phénomène plus large : « la capture du régulateur bancaire par les régulés ». Cette théorie, selon laquelle les institutions censées réguler un secteur finissent par servir les intérêts des acteurs qu’elles sont supposées contrôler, trouve une illustration dans « les nombreux scandales et fraudes enregistrés sous le regard indifférent voire impuissant de la COBAC ». Ces fraudes concerneraient des ressources normalement destinées aux Caisses des Dépôts et Consignations de la sous-région.
. Souveraineté nationale et bonnes pratiques républicaines
Le différend dépasse la simple question du transfert de fonds. Il touche à la souveraineté nationale en matière de politiques publiques. La COBAC est également accusée de s’être immiscée dans le système camerounais de cautionnement des marchés publics. Richard Evina Obam rappelle que le Cameroun, en tant qu’État souverain, a parfaitement le droit d’opter pour des sûretés réelles, comme le prévoit l’Acte Uniforme de l’OHADA, pour assainir un secteur crucial. Il n’appartient pas, selon lui, à la COBAC d’émettre des « jugements de valeur » sur ces choix politiques nationaux.
Enfin, la réponse de la CDEC se veut une défense de l’État de droit. Les procédures judiciaires engagées sont présentées comme une « démarche républicaine, irréprochable », la justice étant le « dernier rempart face au refus par certains de respecter la règle de droit ». Plutôt que de recourir à des « moyens de pression informels », les banques « inciviques » devraient, estime-t-il, se fier aux « arguments juridiques pertinents pour faciliter l’office du juge ».
un appel au recentrage pour la stabilité financière
La lettre du Directeur Général de la CDEC est bien plus qu’une réponse à un courrier ; c’est un réquisitoire sévère et un cri d’alarme. Elle met en lumière les tensions entre les impératifs de développement national, incarnés par une institution publique comme la CDEC, et les logiques parfois opaques d’un secteur bancaire soutenu par une instance régionale dont l’action semble brouillée.
L’appel final de Richard Evina Obam est sans équivoque : il est « urgent que la COBAC se recentre sur ses missions originelles de régulateur objectif ». La pérennité de la stabilité financière en Afrique centrale en dépend. Cette affaire révèle les difficultés de la construction d’une gouvernance financière intégrée mais respectueuse des souverainetés nationales et de la primauté du droit. L’enjeu est de taille : permettre à des institutions comme la CDEC de jouer pleinement leur rôle de levier pour le financement du développement économique, sans être entravées par des intérêts particuliers ou des dérives réglementaires.


