ECONOMIE

Secteur énergétique : le Cameroun mise sur la renationalisation d’ENEO pour sortir de la crise

Written by Annette Olinga

La conférence de presse du MINCOM et du MINEE ce 21 Novembre 2025, a souligné l’importance du rachat d’ENEO par l’État. Avec un nouveau management et un plan de redressement prioritaire annoncés au cours de la conférence de presse conjointe, , le gouvernement ambitionne de résoudre les défis financiers et techniques tout en garantissant un approvisionnement électrique stable et accessible à tous.

Le Cameroun vient d’opérer l’une des plus importantes mutations de son paysage économique depuis des décennies. La signature, le 19 novembre 2025, de la convention de rachat des parts du fonds britannique Actis dans ENEO marque un moment décisif dans l’histoire énergétique du pays. Pour 78 milliards de FCFA, l’État reprend le contrôle de 95% du capital de la société de distribution électrique, les 5% restants étant réservés au personnel. Cette opération, orchestrée par les ministères des Finances et de l’Eau et de l’Énergie, ouvre une nouvelle ère pour un secteur vital dont les défaillances affectaient quotidiennement des millions de Camerounais.

Le contexte : un secteur électrique en crise profonde

Pour comprendre la portée de cette renationalisation, il faut saisir la complexité du secteur électrique camerounais, organisé autour de trois segments interdépendants :

  • La production : Une capacité installée de 2011 MW en 2025, dominée à 70,13% par l’hydroélectricité, avec une part significative (38%) assurée par des producteurs indépendants comme KPDC, DPDC et NHPC.
  • Le transport : Géré par la SONATREL, il comprend deux réseaux distincts – le Réseau Interconnecté Sud (7 régions) et le Réseau Interconnecté Nord (3 régions) – totalisant plus de 3000 km de lignes haute tension.
  • La distribution : Domaine exclusif d’ENEO, avec 38 000 km de réseau desservant ménages, industries et services.

Le rôle central et vulnérable d’ENEO

ENEO occupait une position critique dans cet écosystème, assumant non seulement la distribution mais aussi la fonction d'”Off-Taker” – collectant l’ensemble des revenus du secteur via la facture unique puis les redistribuant aux différents acteurs selon une péréquation définie par le régulateur. Cette position centrale n’a pourtant pas empêché une dégradation financière aux causes multiples :

  • Des pertes techniques et commerciales élevées
  • Un faible taux de recouvrement (seulement 30 milliards de FCFA collectés mensuellement pour 40 milliards de charges)
  • La fraude (60 milliards de FCFA de pertes annuelles)
  • Le gel partiel des tarifs depuis 2012
  • Le recours excessif aux prêts bancaires à court terme

La renationalisation : Ce qui va concrètement changer

Une nouvelle gouvernance sous contrôle étatique

Dès le paiement des 78 milliards – qui doit intervenir dans un délai de 60 jours après la signature – l’État installera une nouvelle équipe de direction. Le management actuel assure actuellement les affaires courantes, mais sans pouvoir engager d’orientations majeures. Cette transition soigneusement planifiée permettra à l’État de reprendre les rênes avec une équipe alignée sur sa vision stratégique.

La préservation des emplois et des acquis sociaux

Contrairement aux craintes souvent exprimées dans ce type d’opération, les 3600 employés camerounais d’ENEO verront leurs droits et avantages sociaux préservés. Le gouvernement a d’ores et déjà pris des dispositions en ce sens, écartant tout risque de plan social massif.

Un plan de redressement prioritaire

La renationalisation n’est pas une fin en soi, mais le moyen de mettre en œuvre le “Compact énergétique” soutenu par la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement. Ce plan d’actions prioritaires s’articule autour de plusieurs axes structurants :

1. La restructuration de la dette bancaire

Opération vitale qui n’aurait pu être menée efficacement sous le contrôle d’un actionnaire privé. Cette restructuration permettra d’alléger les charges financières mensuelles et de dégager des liquidités pour les investissements et le paiement des autres acteurs du secteur.

2. Une lutte renforcée contre la fraude

Avec 60 milliards de FCFA perdus annuellement, la fraude représente un saignement financier intolérable. Le gouvernement prévoit notamment :

  • L’installation de 15 000 compteurs intelligents dans les postes MT/BT
  • Une gestion optimisée des flux énergétiques
  • Des mesures coercitives renforcées

3. L’élargissement de la base clientèle

Plusieurs projets structurants sont en cours :

  • Le deuxième corridor de transport de Nachtigal à Douala, dont les travaux s’achèveront au premier trimestre 2026
  • Le raccordement de nouvelles industries représentant 150 MW de demande supplémentaire, soit environ 50 milliards de FCFA de revenus annuels additionnels
  • L’extension des réseaux vers de nouvelles zones de consommation

4. Le recouvrement accru des créances

Des mesures “sans concession” seront appliquées, incluant potentiellement des retenues à la source pour les entités publiques défaillantes. L’objectif est clair : amener chaque consommateur, particulier comme institution, à payer sa facture.

Les perspectives : vers un service électrique de qualité

Des investissements restaurés

Avec l’assainissement financier du secteur, les investissements pourront reprendre dans tous les segments :

  • Maintenance des équipements existants
  • Remplacement des poteaux en bois par des supports en béton
  • Installation de nouveaux transformateurs
  • Extension et modernisation des réseaux

La fin programmée des délestages

La lutte contre les coupures intempestives et les baisses de tension passe par cette recapitalisation et ce recentrage sur les investissements essentiels. La stabilisation financière du secteur est la condition sine qua non pour garantir un service continu et de qualité.

Une vision alignée sur les objectifs nationaux

Sous l’impulsion du Président Paul Biya, cette renationalisation s’inscrit dans une vision plus large de développement national. Un secteur énergétique robuste et fiable est essentiel pour :

  • Soutenir la croissance industrielle
  • Améliorer le cadre de vie des populations
  • Attirer les investissements étrangers
  • Conforger la souveraineté nationale

La renationalisation d’ENEO représente bien plus qu’un simple changement d’actionnariat. Elle incarne la volonté de l’État de reprendre en main un secteur stratégique dont les défaillances entravaient le développement économique et social du pays.

En restaurant l’équilibre financier du secteur, en luttant efficacement contre les pratiques frauduleuses et en engageant les investissements nécessaires, le gouvernement camerounais ouvre la voie à une modernisation en profondeur du paysage énergétique national.

Les Camerounais peuvent légitimement espérer voir s’atténuer, puis disparaître, les délestages qui ponctuaient leur quotidien. Les industriels peuvent anticiper un environnement plus stable pour leurs activités. Et l’ensemble des acteurs économiques peut envisager avec plus de sérénité les défis du développement.

Cette opération, si elle est menée à son terme avec la rigueur annoncée, pourrait marquer le début d’une nouvelle ère énergétique pour le Cameroun – une ère où l’électricité cesserait d’être une source de préoccupation pour devenir un véritable levier de prospérité partagée.

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Annette Olinga

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