SOCIETE

Campagne présidentielle 2025 : Le CNC dresse un bilan en demi-teinte et rappelle les médias à l’ordre

Written by Annette Olinga

L’organe de régulation des médias au Cameroun a donné un point de presse à Yaoundé ce 8 Octobre 2025. On note des progrès, mais des irrégularités persistent dans les médias classiques, en ligne et communautaires, tandis que le premier bilan du temps d’antenne révèle des disparités significatives.


Un suivi rigoureux pour une élection apaisée

Le Conseil National de la Communication (CNC) a tenu, ce jour, son deuxième point de presse dans le cadre du suivi de la couverture médiatique de la campagne pour l’élection présidentielle du 12 octobre 2025. Moins d’une semaine après sa première mise en garde, l’institution dirigée par son Président est revenue sur le respect de ses directives, dressant un tableau contrasté entre une majorité de médias coopératifs et des écarts persistants nécessitant une vigilance accrue. Ce briefing a porté sur deux axes majeurs : une revue des observations et infractions relevées, et le premier bilan à mi-parcours de l’occupation du temps d’antenne, un baromètre crucial pour l’équité entre les candidats.


La Revue des Observations – Un paysage médiatique sous tension

Le Président du CNC a d’emblée salué le fait que « les différentes exhortations du CNC […] ont été suivies par les promoteurs des médias dans leur grande majorité ». Ce constat positif témoigne d’une prise de conscience collective des enjeux électoraux.

Cependant, la vigilance des équipes de monitoring a permis d’identifier plusieurs cas d’irrégularités qui viennent entacher ce bilan global.

Les Médias Classiques et en Ligne dans le collimateur

Plusieurs manquements aux principes d’égalité et de neutralité ont été pointés du doigt :

  • Sud FM/TV : La chaîne est interpellée pour avoir retransmis en direct, dans le cadre de son émission « CARREFOUR », les meetings d’un seul parti politique. Le CNC exige que ce « privilège » soit étendu à l’ensemble des candidats pour respecter le principe d’égalité.
  • Canal 2 International : Un avertissement ferme a été adressé à cette chaîne pour la participation de représentants de la société civile à son programme « LE DEBRIEF D’UN JOUR DE CAMPAGNE ». Le Conseil rappelle qu’en période électorale, seuls les candidats ou leurs représentants dûment mandatés doivent intervenir dans les émissions de campagne.
  • Les Réseaux Sociaux, nouvelle arène des dérives : Le CNC a exprimé sa profonde préoccupation face à plusieurs cas de contenus inappropriés et illégaux diffusés sur les plateformes numériques :
    • Sur TikTok, une vidéo montre un activiste, se déclarant favorable au FSNC, en train de déchirer la photo officielle du Président de la République. Le Conseil « s’insurge contre cet acte grave de vandalisme ».
    • Sur Facebook, la page « Alain TCHAMO OFFICIEL » a diffusé des vidéos présentant négativement des candidats.
    • Toujours sur Facebook, un post de l’activiste Paul CHOUTA a, selon le CNC, incité à la haine communautaire.
    • Un montage vidéo sur TikTok a délibérément présenté sous un jour négatif le candidat du RDPC.

Face à ces manquements, le Conseil a annoncé qu’il se « réserve le droit de mettre en œuvre les mesures appropriées », laissant planer la menace de sanctions.

Les Radios Communautaires sortent de leur cadre

Le déploiement des kits mobiles de monitoring dans les dix régions du pays a révélé un phénomène préoccupant : la politisation de certaines radios communautaires. Par nature apolitiques et consacrées au développement local, plusieurs d’entre elles ont outrepassé leur mandat statutaire.

Des exemples concrets ont été cités :

  • FUSSEP FM (Ouest) : Plusieurs représentants du RDPC sont intervenus dans l’émission « LA TOTALE 10-12 ».
  • BAFUNG BABADJOU (Ouest) : Des comptes-rendus de meetings du RDPC, du PCRN et du FSNC ont été intégrés au « Bulletin d’information ».
  • NKUL AKONO : La radio a mis en place une nouvelle grille de programmes spécifiquement conçue pour « accompagner les formations politiques ».
  • INFO CHATEAU D’EAU (Adamaoua) : Diffusion quotidienne d’une émission de propagande en langue locale.
  • FOR YOU AFRICA (Adamaoua) : Diffusion des spots de campagne de tous les candidats, une activité qui ne relève pas de son cahier des charges.

Le CNC a rappelé avec fermeté que les radios communautaires « ne sont compétentes ni en période ordinaire, encore moins en période électorale pour traiter des questions qui ne relèvent pas de leurs thématiques statutaires ». Des sanctions appropriées sont également envisagées pour ces cas.


Le Bilan à Mi-Parcours du Temps d’Antenne – Des chiffres qui parlent

Point crucial de ce briefing, la présentation des données quantitatives sur l’occupation du temps d’antenne offre une photographie précise et inédite de la visibilité des candidats.

A. Les Médias de Service Public : Un équilibre globalement respecté

Dans les médias publics (CRTV), le temps de parole est strictement réglementé : 75 minutes pour la télévision et 150 minutes pour la radio sur la durée totale de la campagne (15 jours) pour les émissions de propagande électorale.

À la Télévision publique :

  • Constat général : Aucun candidat n’a épuisé son temps réglementaire, à l’exception notable du candidat du RDPC qui l’a dépassé de 27 minutes et 14 secondes à la radio.
  • Dans les bulletins d’information : Les disparités sont frappantes. Le candidat du RDPC caracole en tête avec un temps cumulé de 241 minutes et 57 secondes, soit près de quatre heures. Le second, le candidat de l’UNDP, n’atteint que 36 minutes et 22 secondes. Cette différence s’explique, selon le CNC, par « la densité de l’activité des partis ».

À la Radio publique :

  • Le candidat du RDPC a déjà consommé et même légèrement dépassé son temps réglementaire (177 min 14 s pour 150 min allouées).
  • Les autres candidats ont des temps consommés variables, allant de 119 min 44 s (SDF) à seulement 42 min 29 s (PAL), laissant entrevoir des stratégies de communication différenciées.

B. Les Médias Privés : Le Far West médiatique

C’est dans le paysage audiovisuel privé que les écarts sont les plus significatifs, montrant un respect inégal du principe d’égalité de traitement.

À la Télévision privée :

  • Équinoxe TV : Le candidat du RDPC domine largement avec 228 min 41 s dans les émissions de campagne, suivi du FSNC (155 min 02 s). Le PCRN n’y dispose que de 11 min 25 s.
  • Canal 2 International : La situation est inversée. Le PCRN bénéficie d’une couverture massive (234 min 24 s), tandis que le RDPC n’a que 27 min 36 s. Plus alarmant, six candidats (dont l’UNIVERS, l’UDC, le FDC, l’UMS et le PAL) n’ont eu aucun temps dans les émissions de campagne.
  • DASH TV, INFO TV, STV, CAM10 TV : Toutes ces chaînes présentent des tableaux déséquilibrés, avec des favoritismes marqués pour certains candidats selon la ligne éditoriale ou les choix rédactionnels de la chaîne. Le constat est systématiquement le même : « L’égalité du temps d’antenne n’est pas respectée. »

À la Radio privée :

  • Equinoxe Radio : Aucun candidat n’a eu accès aux émissions de campagne. La couverture s’est limitée aux bulletins d’information, avec des temps très faibles et variables.
  • Radio Balafon : Déséquilibre flagrant, avec le PCRN en tête (265 min 48 s), suivi du RDPC (151 min 29 s), alors que des candidats comme le MCNC et le PAL n’ont eu aucun temps d’antenne.
  • Royal FM : Les données partielles montrent le RDPC en tête (80 min), devant le SDF (49 min) et le PCRN (29 min).

Analyse et Perspectives : L’ultime rappel avant le scrutin

Ce deuxième point de presse du CNC joue un rôle crucial à mi-parcours de la campagne. Il remplit une triple fonction :

  1. Un rôle de régulateur : En nommant publiquement les médias en infraction, le CNC utilise la pression morale et médiatique pour faire respecter la loi. C’est une mise en garde transparente qui précède souvent l’action coercitive.
  2. Un rôle de transparence : La publication détaillée du temps d’antenne offre aux partis politiques et à l’opinion publique une mesure objective de l’équité médiatique. Elle permet de contester ou de justifier des perceptions souvent biaisées.
  3. Un rôle pédagogique : Le rappel incessant des règles, notamment auprès des radios communautaires, est essentiel pour consolider une culture médiatique responsable dans un contexte électoral sensible.

La balle est dans le camp des médias

Alors que la campagne entre dans sa dernière ligne droite, le message du CNC est clair : des progrès ont été accomplis, mais des efforts urgents et significatifs sont nécessaires pour garantir une compétition loyale. La crédibilité du processus électoral passe aussi par l’intégrité de sa couverture médiatique. Les prochains jours seront décisifs. Le CNC, en brandissant la menace de sanctions, a montré qu’il n’hésitera pas à user de ses prérogatives pour que les principes d’égalité, d’équité et de pluralisme ne restent pas de vains mots, mais deviennent une réalité tangible pour tous les Camerounais. La profession est désormais prévenue.

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