SOCIETE

Prédation foncière : Eyebe Ayissi peut-il affronter Laurent Esso ? 

Written by LA REDACTION

Le 23 juillet 2024, le landerneau politique camerounais était surpris par la publication d’une correspondance officielle et confidentielle du ministre d’État, secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, adressée au secrétaire d’État à la défense en charge de la gendarmerie, Galax Etoga. 

Sur un ton empreint de gravité, au-delà de l’antiphrase qui caractérise la rédaction administrative, le SG/PR faisait savoir au SED que : « J’ai l’honneur de vous répercuter les Très Hautes Instructions de Monsieur le Président de la République prescrivant de mettre sur pied, de toute urgence, une commission mixte SED/DGSN, à l’effet d’enquêter en profondeur et d’établir les responsabilités des différents acteurs impliqués dans la spoliation du domaine privé de l’État et les atteintes à la propriété foncière des particuliers. ». 

Il n’en fallait pas plus pour faire trembler les couloirs du pouvoir de Yaoundé. Il faut dire que depuis un bon bout, le Cameroun vit au rythme des scandales fonciers, dont le plus notable a été l’affaire Dikolo. 

Et en ce mois de juillet 2024, l’affaire qui occupe tous les esprits est celle du terrain de la British American Tobbacco (BAT) dont le vaste terrain situé au carrefour Bastos a été arraché et attribué à certaines personnalités et pontes du régime de Yaoundé. C’est ainsi que dans la foulée de l’instruction présidentielle, le ministre des domaines, du cadastre et des affaires foncières (Mindcaf), Henri Eyebe Ayissi, va dans un arrêté du 31 juillet 2024, rapporter « avec toutes les conséquences de droit, les dispositions de l’Arrêté n°01683/Mindcaf/SG/D12 du 20 juin 2024, portant exercice du droit de préemption de l’État sur le titre foncier n°175/Mfoundi, établi au profit de la société J. Bastos de l’Afrique centrale sur une parcelle de terrain au lieu-dit « Ekoudou », Arrondissement de Yaoundé 1er, département du Mfoundi et rétrocession de ladite parcelle aux communautés Mvog Mballa Ekobena et Mvog Ekobena, réprésentés par Me Olivier Chi Nouako, avocat au Barreau du Cameroun »

Henri Eyebe Ayissi contre Laurent Esso ? 

Cependant, malgré cette décision du Mindcaf rétablissant la BAT dans ses droits, la commission d’enquête prescrite par le président de la République est plus qu’active, et les auditions se multiplient au fil des jours. Et souvent dans la plus grande discrétion.

Il faut dire qu’en plus de l’affaire BAT, il existe d’autres très gros scandales fonciers au Cameroun, et dont le plus notable est l’Affaire Cabinet Atou contre le Port Autonome de Douala. 

En effet, l’État avait chargé ce cabinet de la sauvegarde des biens de certaines de ses entreprises en liquidation, parmi lesquelles l’Office nationale des ports du Cameroun (ONPC). Mais au lieu de les protéger, le Cabinet Atou en a profité pour vendre certains de ces biens de l’État à ses comparses, et louer d’autres sans rendre compte à qui que soit, tout en laissant les immeubles dans un état de décrépitude alors que cela lui rapporte plus de 500.000 millions par an.

Dans cette affaire, il faut savoir que l’État a mis un terme aux liquidations depuis 2006. Ce qui signifie que le Cabinet Atou n’est plus liquidateur depuis fort longtemps des actifs résiduels de l’ex-ONPC. 

Mieux, aux termes de l’article 44 du décret 99/130 du 15 juin 1999 portant création du Port Autonome de Douala : « les engagements financiers et économiques de l’ONPC passent au PAD, en même temps que le patrimoine tant de ce dernier que celui des autres organismes portuaires crées en même temps, jusqu’à leur mise en place ».

Ainsi, en vertu de ces dispositions de l’article 44 susvisé, il n’était même pas nécessaire, comme le prévoyait l’article 79 (2) de l’ancienne loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant Statut général des entreprises du secteur public et parapublic, que l’État prenne un autre acte pour dissoudre l’ONPC comme le pensent certains apprentis juristes, puisque le Port Autonome de Douala était désigné d’office par le décret susvisé comme héritier, sans condition, des actifs et passifs de l’ex-ONPC.

Informé des manœuvres dolosives de Lazare Atou et de la clique mafieuse qui le couvre, sur le patrimoine portuaire de l’État du Cameroun, le Président de la République avait pris le décret N°2019/034 du 24 janvier 2019 qui, en son article 22, stipule : « (1) L’État transfère au Port Autonome de Douala en propriété ou en jouissance, selon le statut juridique de ces biens, les actifs, ainsi que le patrimoine de l’ex-Office National des Ports du Cameroun (ONPC), localisés dans la circonscription portuaire de Douala-Bonabéri. (2) Le patrimoine visé à l’alinéa 1 ci-dessus comprend : les dépendances et les biens du domaine public portuaire, ainsi que les biens du domaine privé de l’État affectés au Port Autonome de Douala, conformément à la législation domaniale ; les biens du domaine privé de l’État attribués en propriété au Port Autonome de Douala, au titre de l’apport de l’État à la formation du capital de la société ; le patrimoine de l’ex-ONPC situé à l’intérieur de la circonscription de compétence du Port Autonome de Douala ; les infrastructures et les immeubles relevant du domaine public portuaire de Douala-Bonabéri, notamment les terre-pleins, quais, jetées, plans d’eau, réseaux portuaires de voies ferrées ; les infrastructures et les immeubles relevant du domaine public portuaire de Douala-Bonabéri qui, postérieurement à la mise en place dudit port, seront réalisés et affectés à l’exploitation portuaire ; les biens meubles et immeubles appartenant au domaine privé de l’État, et nécessaires à la gestion des infrastructures visées à l’alinéa ci-dessus, notamment les immeubles, les outillages, matériels et approvisionnements. ».

Pour bien marquer et réaffirmer cette dynamique présidentielle, le Mindcaf a procédé en 2021 à la mutation de 24 titres fonciers relevant dudit patrimoine de l’ex-ONPC au bénéfice du PAD. Son arrêté n°1529/MINDCAF/SG/D1 du 16 novembre 2021 porte en effet transfert au PAD des actifs résiduels de l’ex-ONPC et suivants. À ce jour, les livres fonciers de Wouri A et Wouri B témoignent à suffisance que le Port Autonome de Douala est propriétaire desdits immeubles, avec des Certificats de propriété inattaquables.

Par ailleurs, il faut bien noter que le ministre des Finances a décidé en juillet 2022 de mettre définitivement un terme au mandat de liquidateur dont se prévaut abusivement Atou Lazare et son cabinet. 

Toutefois, en dépit de toutes ces décisions institutionnelles et ces dispositions réglementaires suffisamment claires et précises, par ordonnance de référé exécutoire rendue le 19 avril 2024, le tribunal de première instance de Douala Bonanjo a récemment ordonné l’expulsion du Port Autonome de Douala des immeubles de l’ex-ONPC. 

Mais pour comprendre cette décision de justice des plus curieuses, il convient de mentionner que Lazare Atou est réputé être un des plus grands protégés du ministre d’État, ministre de la Justice, Garde des sceaux, Laurent Esso. 

Et comme le dit Lazare Atou à qui veut l’entendre : « tant que Laurent Esso est aux affaires, rien ne peut lui arriver ». Ainsi, il peut non seulement se permettre se spolier indument l’État du Cameroun de son patrimoine foncier et immobilier le plus stratégique, mais il peut même se payer le luxe de mettre à mal sur le plan judiciaire les plus hautes institutions de la République, et ceux qui les incarnent. 

C’est ainsi qu’il s’est permis de trainer devant les tribunaux les membres du conseil de discipline financier et budgétaire qui l’avaient pourtant condamné le 20 avril 2024 à verser plus de 12, 8 milliards de Fcfa au trésor public pour des fautes de gestion commises dans le cadre de la gestion des actifs résiduels de l’ex- REGIFERCAM et l’ex-ONCPB sur la période 2006-2021.

Une outrecuidance qui ne peut se justifier que par le sentiment de surpuissance que lui octroie sa proximité plus que légendaire avec le ministre Laurent Esso. 

La question que tout le monde se pose alors dans le cadre de l’enquête sur la spoliation foncière prescrite par Paul Biya est de celle de savoir si la commission d’enquête mixte SED/DGSN et surtout le ministre Henri Eyebe Ayissi oseront enfin affronter le Minjustice Laurent Esso, en mettant une fois pour toutes hors d’état de nuire le plus grand spoliateur du patrimoine foncier de l’État, en la personne de Lazare Atou ! 

source: le Messager parution du 26 septembre

Par Magamba Pierre 

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